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Faire d’une pierre trois coups

L’éolien, pilier de l’approvisionnement hivernal

02.02.2021

L’éolien permet d’augmenter l’autosuffisance, mais aussi de réduire les futurs coûts de l’électricité et les émissions de CO2. Or, la Suisse couvre actuellement tout juste 0,2% de sa consommation totale avec du courant éolien. Pour Suisse Eole, l’association pour la promotion de l’énergie éolienne, une part de 15% en 2050 est réaliste, et même nécessaire.

Avec la Slovaquie et la Slovénie, la Suisse occupe les dernières places du classement européen en matière d’énergie éolienne: dans ces trois pays, la part de l’énergie éolienne est en effet inférieure à 1% de la consommation totale d’électricité. À l’inverse, l’Autriche, dont la surface correspond à deux fois celle de la Suisse, a déjà atteint une part d’énergie éolienne de 13% en 2019.

Mais pourquoi la Suisse a-t-elle aussi besoin d’énergie éolienne? Comme le met en évidence le «Plan éolien pour le climat – La solution énergétique hivernale» [1], établi par l’association pour la promotion de l’énergie éolienne Suisse Eole avec le soutien de l’Office fédéral de l’énergie, la réponse est simple: les éoliennes produisent deux tiers de leur énergie annuelle en hiver, à une période où les vents soufflent plus fort et plus souvent qu’en été. Pour les centrales hydrauliques et solaires, c’est le contraire: celles-ci produisent la majeure partie de leur électricité de mars à octobre (figure 1).

Réduire la dépendance aux importations

En hiver, lorsque le soleil est bas, que les jours sont courts et qu’une partie des précipitations retombe sous forme de neige en raison des températures plus froides, la production des centrales hydroélectriques et solaires est nettement moins élevée. Or, les besoins en électricité atteignent des records annuels pendant la saison hivernale, principalement à cause du chauffage et de l’éclairage. En hiver, la Suisse importe donc aussi de l’électricité allemande et française produite dans des centrales nucléaires, à charbon ou à gaz.

En augmentant ses capacités de production d’énergie éolienne, la Suisse pourrait réduire sa dépendance aux importations et passer ainsi à un mix énergétique beaucoup plus vert. Si elle ne le fait pas, sa dépendance à l’égard de l’étranger s’accroîtra encore davantage lors de la mise à l’arrêt de ses centrales nucléaires.

Regarder au-delà des frontières

L’Autriche montre la voie à suivre: en 2019, plus de 1340 éoliennes fonctionnaient déjà dans le pays. En Suisse, on en dénombrait alors tout juste 37, auxquelles sont venues s’ajouter les 5 éoliennes du Saint-Gothard à l’automne 2020 (figure de titre). Par ailleurs, l’Autriche ne se contente pas de ses 13% d’énergie éolienne: elle s’est fixé comme objectif de dépasser les 25% d’ici à 2030. L’énergie éolienne y complète ainsi à merveille l’énergie hydraulique, qui couvre également 60% de la consommation d’électricité.

Dans les départements français et dans les Länder allemands limitrophes de la Suisse, le développement de l’énergie éolienne est tout aussi impressionnant: au total, plus de 6000 éoliennes – sans compter les 1340 de l’Autriche – y produisent de l’électricité (figure 2).

Rattraper le retard

Il est grand temps de rattraper ce retard, car l’énergie éolienne fait partie, aux côtés de l’énergie solaire, des technologies renouvelables dont les capacités de production augmentent le plus à l’échelle mondiale: en 2019, le courant éolien couvrait déjà 15% des besoins en électricité en Europe et, en 2018, 6% des besoins en électricité dans le monde entier. Avec 48% de courant éolien, le Danemark enregistrait en 2019 la part la plus élevée de courant éolien en Europe, suivi par l’Irlande (33%) et le Portugal (27%). Certains jours, au Danemark, l’énergie éolienne couvre même déjà bien plus que la totalité des besoins.

L’ElCom demande 5 à 10 TWh de courant hivernal

Puisque les centrales nucléaires suisses vont être mises à l’arrêt, de nouvelles sources d’énergie renouvelable doivent être exploitées pour la période hivernale. La Commission fédérale de l’électricité ElCom demande que la Suisse s’engage à augmenter ses capacités de production d’électricité de 5 à 10 TWh pour le semestre hivernal jusqu’en 2035.[2] Sur la base des mises à jour technologiques concernant le potentiel éolien suisse présenté dans son «Plan éolien pour le climat – La solution énergétique hivernale» (tableau 1), Suisse Eole a calculé que ce déficit pouvait être comblé avec du courant éolien. Suisse Eole demande donc que la Confédération classe l’énergie éolienne comme «prioritaire» pour la production de courant, comme cela est aussi prévu pour l’hydraulique à accumulation. «L’énergie éolienne peut couvrir 6 TWh, soit presque 20% des besoins en électricité en hiver», explique Lionel Perret, directeur de Suisse Eole (voir interview «Ne négligeons pas l’éolien!»). «Grâce à des pales plus longues, la productivité des éoliennes a augmenté de 60% au cours de ces dix dernières années. Avec 1000 éoliennes, il serait possible d’atteindre une production annuelle de courant éolien de 15%. Cela correspond à deux tiers des éoliennes déjà en fonction en Autriche.»

180 MW en attente d’une décision du Tribunal fédéral

Des décisions favorables à l’énergie éolienne ont été prises dans 19 des 23 communes où des projets concrets d’énergie éolienne étaient en suspens depuis 2012 [3], ce qui montre bien le soutien de la population directement concernée à cette technologie. Mais ces projets font presque toujours l’objet de recours jusqu’au Tribunal fédéral de la part d’associations de protection de l’environnement et de particuliers. Et il n’est pas rare que les procédures s’étendent sur plus de 15 ans.

Actuellement, sept projets de parcs éoliens sont en attente d’une décision du Tribunal fédéral. Une issue positive pour ces projets augmenterait la puissance de 180 MW et la production éolienne suisse passerait alors de 150 GWh à 500 GWh par année. Sur les sites où des parcs éoliens sont déjà implantés, l’acceptation au sein de la population est particulièrement élevée, comme le montrent les exemples suivants: au Mont-Crosin/JU, le plus grand parc éolien de Suisse, personne ne s’est opposé au remplacement des anciennes éoliennes par de nouvelles éoliennes plus grandes, et donc plus performantes. À Andermatt, quatre éoliennes ont été mises en service à proximité directe de la station de ski en 2004, 2010 et en 2012. Ici aussi, sans rencontrer d’opposition. Dans la réserve de biosphère de l’Entlebuch, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, trois éoliennes ont été mises en service en 2005, 2011 et 2013. D’autres sont encore en projet.

Économies de 378 gCO2-eq/kWh grâce à l’éolien

De par sa parfaite complémentarité avec les autres énergies renouvelables, l’énergie éolienne constitue l’une des énergies clés pour parvenir à limiter le niveau des importations d’électricité et donc des émissions de CO2, notamment en hiver. De plus, avec ses 15,4 gCO2-eq/kWh, l’éolien suisse présente le meilleur écobilan des nouvelles énergies renouvelables (voir encadré et figure 3). Une étude publiée fin 2020 par l’Université de Genève démontre qu’un kilowattheure de courant éolien évite en moyenne 378 gCO2-eq/kWh.[5] Lorsque le pays est importateur, la production éolienne à partir d’une capacité de 1 MW permettrait une baisse des importations de 1255 MWh. Ces importations sont principalement issues de centrales fossiles (54,4%) et nucléaires (19,4%). Sur la base des émissions attribuables à chaque technologie, le calcul de l’empreinte carbone liée à l’électricité importée équivaut à 652 tCO2-eq/an.

Investir à l’étranger…

Les distributeurs suisses, voyant la nécessité d’augmenter significativement leur part d’approvisionnement en énergie renouvelable et ne pouvant pas le faire en Suisse, se sont tournés vers l’étranger. Selon un rapport d’Energie Zukunft Schweiz publié en 2016, des fournisseurs suisses d’énergie produisaient alors déjà davantage d’énergie éolienne à l’étranger que ce que projette la Confédération à l’horizon 2050 en Suisse: des installations représentant une puissance de 2500 MW produisaient plus de 5 TWh de courant éolien par année en dehors de la Suisse. Trois ans plus tard, cette hypothèse s’est révélée exacte puisque d’après une mise à jour effectuée en 2019 par Energie Zukunft Schweiz, la puissance éolienne installée à l’étranger a augmenté de 32% pour atteindre 3300 MW, produisant ainsi plus de 7 TWh/an.[6] Le montant des investissements suisses à l’étranger dans les parcs éoliens s’élève à environ 6 milliards de francs suisses depuis le début du millénaire!

Références

[1] Suisse Eole, «Plan éolien pour le climat – La solution énergétique hivernale. Analyse et actualisation du potentiel de l’énergie éolienne en Suisse», version du 12.06.2020.

[2] ElCom, «La sécurité d’approvisionnement en électricité de la Suisse 2020», rapport de l’ElCom, Berne, août 2020.

[3] Relève Suisse Eole des votations 2012 à 2021.

[4] OFEN/ZHAW, «Bilan écologique de l’énergie éolienne en Suisse» (mars 2015), mise à jour janvier 2020.

[5] Elliot Romano, Pierre Hollmuller, «CarboWind: Réduction des émissions de gaz à effet de serre générée par un incrément de puissance de 1 MW du parc éolien domestique», Archive ouverte, Université de Genève, novembre 2020.

[6] Energie Zukunft Schweiz, «Investments in renewable energy production outside Switzerland by Swiss energy providers and institutional investors», update 2019.

[7] wind-data.ch

Une image erronée

En se focalisant sur le parc éolien du Gries, l’édition du 3 décembre 2020 de l’émission Temps présent de la RTS a répandu l’image d’une technologie éolienne peu productive en Suisse. Cependant, exception faite du parc du Gries, les éoliennes en Suisse attei­gnent, voire dépassent, la production prévue lors de la mise à l’enquête des parcs (tableau 2). Les données de production de tous les parcs éoliens de Suisse sont librement accessibles.[7]

Suisse Eole a comparé les pronostics de production publiés lors de la planification de chaque parc avec sa production moyenne dans son état actuel: seul le parc du Gries, un parc pilote en haute montagne, ne remplit pas les objectifs des initiateurs du projet. Tous les autres atteignent ou dépassent largement les prévisions. Au Gütsch, par exemple, en dessus d’Andermatt à plus de 2300 m d’altitude, les quatre machines installées en trois étapes entre 2004 et 2012 répondent entièrement aux attentes du fournisseur local EW Ursern, avec un rendement moyen 17% supérieur à celui promis.

Auteure
Anita Niederhäusern

est chargée de la communication externe de Suisse Eole.

  • Suisse Eole
    1400 Yverdon-
    les-Bains

Commentaire

Hubert Giot,

si les 3300 MW éoliens à l'étranger confirment apporter 7 TWh, alors il faudrait multiplier cette puissance par 4 pour remplacer le parc nucléaire suisse ...

Veuillez calculer 2 plus 4.