Article Infrastructure , Réseaux énergétiques

Des câbles souterrains isolés à l’air comprimé

Projet de démonstration

25.06.2024

Pour le transport de grands courants électriques, une alter­na­tive aux lignes aériennes ou aux câbles souterrains isolés à l’aide de polyéthylène réticulé consiste à utiliser des câbles haute tension souterrains isolés à l’air comprimé. Dans le cadre d’un projet de démonstration soutenu par l’OFEN, un tel câble a été testé pendant un an dans des conditions proches de la réa­lité.

Le réseau de transport d’électricité suisse est en grande partie constitué de lignes aériennes qui transportent l’énergie électrique à une tension de 220 ou 380 kV. Ces lignes sont installées loin du sol, de sorte à garantir la sécurité des per­son­nes. Lorsqu’il est impossible ou qu’il faut éviter d’avoir recours à des lignes aérien­nes, des câbles souterrains peuvent être posés (figure 1). Ceux-ci sont généralement isolés à l’aide d’une couche de plastique, ou plus exactement de polyéthylène réticulé (PE-R). Depuis quelques années, des câbles souterrains dont l’isolation n’est pas assurée par du plastique, mais par du gaz, sont déve­lop­pés en tant qu’alternative.

Jusqu’à présent, le gaz était surtout utilisé comme isolant dans les appareillages électriques. Pour cela, on utilise généralement de l’hexafluorure de soufre (SF6). Ce gaz n’est pas toxique et est inerte à température ambiante, mais il est très nocif pour le climat: l’impact d’un kilogramme de SF6 sur l’effet de serre équivaut à celui de 26 tonnes de CO2. Raison pour laquelle il est préférable de remplacer le SF6 par un gaz qui ne soit pas un gaz à effet de serre.

Un praticien fonde une start-up

C’est précisément l’objectif de la start-up Hivoduct (Kempthal/ZH). Son cofon­da­teur et CEO, l’ingénieur autrichien en électrotechnique Walter Holaus, a obtenu son doctorat à l’École polytechnique fédérale de Zurich et a travaillé pendant plus de 15 ans au développement d’appareillages électriques à isolation gazeuse dans le secteur industriel. En 2020, il a fondé sa propre entreprise avec deux collègues dans le but de développer des câbles souterrains isolés à l’air comprimé (figure 2) pour le transport d’électricité. L’entreprise, qui compte aujourd’hui dix collaborateurs, a entre-temps certifié des câbles pour des appli­ca­tions dans les domaines de la moyenne tension (12 à 52 kV) et de la haute ten­sion (72 à 145 kV).

L’air comprimé isole les lignes électriques

Comme dans un câble électrique traditionnel, dans un câble à air comprimé, le courant électrique circule à travers un conducteur métallique. Celui-ci se situe dans un tube rempli d’air comprimé, qui a un diamètre d’un peu plus de 20 cm pour un câble de 145 kV. Ce tube fait office de réservoir sous pression, de conducteur de terre et de blindage efficace contre les champs électro­magné­tiques, réduisant ainsi fortement les perturbations de l’envi­ron­ne­ment.

L’air comprimé est utilisé parce qu’il isole encore mieux que l’air à pression normale. Une couche de 10 cm d’air comprimé à 10 bar isole à peu près aussi bien qu’un mètre d’air non comprimé. Dans le cadre du projet de démonstration de l’OFEN, des pertes de pression ont également été simulées: un claquage n’a eu lieu dans une ligne de 145 kV avec un courant de 2000 A que lorsque la pression a atteint 1,8 bar. Cela montre que les câbles à air comprimé, dont la pression est de 10 bar, disposent d’une grande réserve.

À l’intérieur du tube, des rondelles en plastique sont disposées tous les 5 m afin d’assurer que le conducteur reste centré dans le tube. Ce dernier est mis à la terre, de sorte qu’une personne qui le toucherait n’aurait pas à craindre de décharge électrique. Le diamètre d’un tel câble à air comprimé est plus grand que celui d’un câble haute tension souterrain classique – 23 cm pour un câble à air comprimé de 145 kV (2500 A) contre 8,6 cm pour un câble avec un isolant en PE-R (1000 A).

Un avantage de ce nouveau développement: le diamètre du conducteur étant plus grand (8 cm), les pertes électriques sont jusqu’à dix fois plus faibles que pour les lignes aériennes et deux à trois fois plus faibles que pour les câbles souterrains avec une isolation en plastique. Ces nouveaux câbles permettraient d’éco­no­mi­ser des quantités considérables d’électricité, alors qu’à ce jour, jusqu’à 10% de l’électricité transportée par le réseau de transport suisse sont perdus en cours de route. Les câbles à air comprimé constituent également une alternative aux câbles souterrains supraconducteurs qui ont été développés ces dernières années, mais qui ne se sont pas encore imposés.

Dans un premier temps, les câbles à air comprimé ont été testés, dans le cadre d’un projet Innosuisse et en collaboration avec la Haute école spécialisée de Suisse orientale, sur un banc d’essai au centre d’essai de Dänikon de la Commission d’étude des questions relatives à la haute tension (FKH). «Pour pouvoir commercialiser les câbles souterrains isolés au gaz, nous devons démon­trer leurs performances et leur fiabilité dans un environnement proche de la pratique», explique Walter Holaus. Tel était l’objectif d’un projet de démon­stra­tion cofinancé par l’OFEN, qui s’est achevé à l’automne 2023.

Installation de démonstration sur un site des CFF

Pour ce projet, un tronçon de ligne de 30 m de câble à air comprimé (145 kV, 2500 A) a été installé près du poste de couplage des CFF à Zurich-Seebach. On peut voir dans la partie droite de la figure de titre que trois câbles à air comprimé sont logés dans le tube de protection, chacun d’eux constituant une phase du câble haute tension triphasé. Les CFF ont mis ce site d’essai à disposition, car ils doivent souvent utiliser des câbles souterrains, notamment dans les zones urbaines. Un autre avantage pour les CFF consiste dans le fait que les câbles à air comprimé nécessitent environ trois à cinq fois moins de puissance réactive que les câbles isolés à l’aide de PE-R, ce qui permet une utilisation plus étendue dans le réseau. Pour le projet de démonstration, une tension de 145 kV a été choisie – une haute tension répandue en Europe et également utilisée dans les réseaux des gestionnaires de réseaux de distribution suisses.

L’exploitation pilote d’un an a permis de tester différents cas d’exploitation – notamment d’effectuer des tests d’étanchéité, des tests haute tension avec simulation de chute de pression, ou encore des tests d’endurance avec des courants forts – le tout pendant des périodes de grande chaleur en été, et de froid et de chutes de neige en hiver. La figure 3 montre les températures maximales atteintes par le tube ainsi que les pressions mesurées au cours de plusieurs semaines de tests réalisés en été avec des courants permanents de différentes intensités (1000 A, 1500 A et 2000 A). Malgré les températures extérieures élevées à cette époque de l’année, la température du tube du câble à air comprimé n’a jamais dépassé 57°C, même avec un courant de 2000 A, et est donc toujours restée en dessous de la valeur limite de 65°C. L’évolution de la pression pendant la circulation de courants forts montre que des pressions allant jusqu’à 12,5 bar ont été atteintes en raison de la pression de remplissage maxi­male et de l’échauffement dû au courant continu. Enfin, des essais avec une pression réduite de moitié pendant la phase haute tension ont permis de confirmer un fonctionnement continu même après une fuite extrême.

Les câbles testés utilisent de l’air comprimé jusqu’à 10 bar. Lors des tests d’éclatement, ils ont en outre dû prouver leur étanchéité jusqu’à des pressions de 50 bar. «L’exploitation pilote a confirmé l’aptitude à l’emploi et la robustesse des câbles à air comprimé», explique Walter Holaus. «La surveillance continue à l’aide de capteurs de pression et de température a également fourni de précieuses données pour l’exploitant.»

Améliorations constructives

L’année d’exploitation a confirmé l’absence de pertes de pression dans les câbles au cours de cette période. Les concepteurs partent du principe que l’étanchéité des câbles est garantie pendant toute leur durée de vie, soit 40 ans (figure 4). Ceci est notamment rendu possible grâce à de nouveaux raccords reliant les tubes à air comprimé de 5 m de long. Ceux-ci sont constitués d’une connexion annulaire à double joint, développée et brevetée par Hivoduct, qui se passe complètement de vis.

L’expérience acquise dans le cadre du projet de démonstration a entre autres permis d’améliorer encore les câbles à air comprimé. Des points de contact entre des composants argentés et des pièces en aluminium se sont révélés sensibles à la corrosion lors d’une utilisation en plein air; ils sont désormais protégés par un couvercle. Le projet de démonstration a également permis à la start-up de tester pour la première fois l’ensemble du processus de production et d’installation. Il a ainsi notamment été possible d’optimiser les outils nécessaires à l’assemblage des différents tubes pour former une longue ligne de câbles à air comprimé.

Homologation par étapes

Les câbles à air comprimé jusqu’à 145 kV d’Hivoduct sont désormais certifiés et peuvent donc être installés sur le réseau électrique suisse. Les câbles pour les deux plus hautes tensions du réseau de transport suisse (220 kV, 380 kV) pour­raient bientôt suivre. Pour la commercialisation de ses câbles à air comprimé, Hivoduct se concentre en priorité sur la moyenne tension (12 kV à 52 kV) et sur la haute tension inférieure (52 à 145 kV): «Nous nous lançons en premier lieu dans cette gamme de tensions, car ces projets peuvent être réalisés rapidement», explique Walter Holaus. En Allemagne, une installation pilote est aussi actuel­le­ment en service (pour une année, jusqu’à fin juillet 2024) sur un réseau moyenne tension (36 kV) urbain.

«Pour nous, le domaine d’application des câbles à air comprimé se trouve principalement aux endroits où de nouvelles lignes électriques doivent être construites et où des câbles souterrains sont nécessaires, ou lorsque des lignes aériennes existantes doivent être remplacées par des câbles souterrains», ajoute Walter Holaus. Selon lui, les coûts des câbles à air comprimé pour des courants de plus de 1500 A se situent aujourd’hui déjà au niveau de ceux des câbles souterrains avec isolation en PE-R. En comparaison avec les lignes aériennes, les coûts d’investissement pour les câbles à air comprimé sont 1,5 à 10 fois plus élevés. Pour une comparaison équitable des coûts, il faudrait toutefois prendre en compte les pertes de transmission et la maintenance, conclut-il.

Littérature complémentaire

Rapport final du projet de recherche «PAC145kV – Demonstrationsanlage Druckluftkabel 145 kV».

Liens

Vous trouverez plus d’articles spécialisés à propos de projets de recherche réalisés dans le domaine de l’électricité sur: www.bfe.admin.ch/ec-electricite.

Les requêtes d’aide financière pour le développement de nouvelles technologies énergétiques peuvent être soumises ici.

Note

Des informations complémentaires relatives à ce thème peuvent être obtenues auprès de Roland Brüniger, responsable externe du programme de recherche sur les technologies de l’électricité de l’OFEN.

 

Auteur
Dr. Benedikt Vogel

est journaliste scientifique.

  • Dr. Vogel Kommunikation
    DE-10437 Berlin

Commentaire

Veuillez additionner 7 et 1.