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La fusion nucléaire

De la génération d’étoiles sur Terre à la production d’électricité

04.01.2017

Source d’énergie quasi inépuisable, sans risque et respectueuse de l’environnement, la fusion nucléaire devrait fournir de l’électricité avant 2050. Contrairement à la fission, elle utilise des noyaux légers pour en former de plus lourds. Si les avantages de cette technologie sont considérables, son développement est synonyme de nombreux défis à relever, notamment en ce qui concerne la stabilisation et le confinement d’un plasma à 100 millions de degrés. Petit tour des principes ainsi que de l’état de la recherche et du développement.

La communauté scientifique active dans la recherche en fusion s’est engagée à produire de l’électricité à partir de cette source d’énergie avant 2050. Dans sa feuille de route, elle décrit les trois étapes devant mener à la maîtrise sur Terre des réactions similaires à celles qui ont lieu dans le Soleil, soit la construction d’ITER, le premier réacteur conçu pour obtenir un bilan énergétique positif, son exploitation et finalement la construction et l’exploitation de DEMO, le prototype d’un réacteur commercial.

Cet article propose un aperçu du principe de la fusion et de ses avantages, de la technologie employée, de la recherche dans ce domaine et des défis que comporte la mise en œuvre de cette source d’énergie. Il présente également les contributions de la Suisse au développement de ce projet faisant l’objet d’une collaboration au niveau mondial.

Les réactions de fusion

Notre soleil, à l’instar de toutes les étoiles, puise son énergie dans des réactions nucléaires, principalement les réactions qui transforment l’hydrogène en hélium. Ces réactions faisant intervenir des noyaux légers pour en produire de plus lourds forment la famille des réactions de fusion, au contraire des réactions de fission, lesquelles permettent de produire de l’énergie en scindant des noyaux lourds, tels que l’uranium, en éléments plus légers.

La transformation d’hydrogène en hélium passe par plusieurs étapes (figure 1) :

  • Deux protons (p) s’unissent pour former du deutérium aussi appelé hydrogène lourd (D ou 2H, soit un atome d’hydrogène dont le noyau comporte un proton, mais aussi un neutron), tout en émettant un positron (e+) et un neutrino (ν).
  • Le deutérium capte un proton pour former de l’hélium 3 (3He) en émettant un rayon gamma (γ).
  • Finalement, la réaction de deux hélium 3 produit de l’hélium 4 (4He) ainsi que deux protons.


Chacune de ces réactions émet de l’énergie, notamment le rayonnement dont nous profitons. De manière générale, les réactions nucléaires en produisent des quantités considérables car l’énergie de liaison entre protons et neutrons, régie par la force d’interaction forte, est énorme : des ordres de grandeur plus importante que les forces de liaisons chimiques mises en œuvre dans les procédés de combustion.

Cependant, la probabilité que les réactions ci-dessus aient lieu est très faible, c’est pourquoi le soleil brille encore ! Pour une exploitation de cette énergie sur Terre, il est donc nécessaire de choisir une autre réaction. La plus intéressante est sans conteste la réaction deutérium (D) - tritium (T ou 3H, appelé aussi hydrogène super lourd, isotope de l’hydrogène dont le noyau est composé d’un proton et de deux neutrons) car elle possède la probabilité de réaction la plus élevée (figure 2).

La mise en œuvre de cette réaction nécessite cependant que les particules possèdent une énergie cinétique suffisante pour, d’abord, surpasser la barrière de potentiel due à la force électromagnétique (qui tend plutôt à les repousser) avant que la force d’interaction forte, qui n’agit qu’à très courte distance, ne puisse les faire fusionner. Le plus simple moyen d’augmenter l’énergie cinétique d’un ensemble de particules consiste à augmenter sa température. Dans le cas qui nous concerne, les réactions nucléaires atteignent le maximum de probabilité d’occurrence lorsque la température du mélange D-T avoisine les 100 millions de degrés.

Le plasma

Lorsqu’un gaz est porté à haute température, au-delà de 10 000 degrés environ, l’agitation thermique devient suffisante pour éjecter les électrons hors de leur orbite autour du noyau. Il en résulte un mélange d’atomes ionisés et d’électrons, mélange appelé «plasma » et souvent considéré comme le 4e état de la matière. Le plasma est caractérisé par une multitude de phénomènes globaux provenant de diverses interactions électromagnétiques.

Une très large fraction de l’Univers est composée de matière à l’état de plasma, notamment toutes les étoiles. Par contre, les plasmas ne se manifestent naturellement sur Terre qu’essentiellement dans les éclairs et les aurores boréales. Techniquement, des plasmas sont également créés, par exemple, dans les «tubes néons ».

Le réacteur à fusion

Le principe d’un réacteur à fusion (figure 3) consiste à chauffer un mélange de deutérium-tritium jusqu’à des températures voisines de 100 millions de degrés et à récupérer l’énergie cinétique des particules produites par la réaction, à savoir un noyau d’hélium et un neutron, pour la transformer en électricité.

Un réacteur à fusion devient rentable, énergétiquement parlant, lorsque la puissance produite surpasse la puissance fournie pour maintenir le plasma à la bonne température et le confiner. Exprimée en termes physiques, cette rentabilité est obtenue lorsque le critère de Lawson est satisfait, c’est-à-dire quand le produit de la densité du plasma, de sa température et du temps de confinement dépasse une valeur donnée. Le temps de confinement correspond au temps caractéristique de la déperdition de la chaleur d’un système. Il est obtenu par la division de l’énergie du système par la puissance nécessaire pour maintenir cette énergie.

Le choix du type de réacteur

Deux manières bien distinctes permettent de satisfaire le critère de Lawson et débouchent sur deux types de réacteurs :

  • le réacteur à confinement inertiel dans lequel le mélange D-T est soumis à des pressions excessivement intenses, amenant à des densités très élevées, par l’entremise de puissants faisceaux laser, mais pendant des temps très courts ;
  • le réacteur à confinement magnétique qui utilise le fait qu’un plasma peu dense, formé de particules chargées, peut être confiné par des champs magnétiques pendant des temps beaucoup plus longs.


Dans les deux cas, l’énergie produite par les réactions est principalement emportée par les neutrons de 14 MeV. Ces derniers sont freinés lorsqu’ils pénètrent dans les éléments composant la «couverture», la première structure matérielle entourant le plasma. Ce freinage produit de la chaleur qui est alors évacuée pour faire tourner des turbines afin de produire de l’électricité. Ces éléments de couverture serviront également à fabriquer le tritium à partir des collisions des neutrons issus des réactions de fusion avec les noyaux du lithium contenu dans la couverture. En effet, le tritium étant radioactif avec un temps de demi-vie relativement court (environ 12 ans), il ne se trouve pas dans la nature, par opposition au deutérium qui lui y est très abondant, principalement sous la forme d’eau lourde.

L’Europe a préféré opter pour la filière magnétique, considérée comme plus prometteuse pour la création d’un réacteur. Ce choix, accompagné d’investissements importants, lui a permis d’atteindre une situation prédominante dans le domaine de la fusion. Elle possède actuellement l’installation la plus performante de la planète et c’est sur son sol que le premier réacteur est en train de voir le jour.

Les avantages de la fusion

L’intérêt principal de la fusion réside dans le fait qu’elle produira des quantités considérables d’énergie à partir d’un «combustible» abondant tout en minimisant les impacts sur l’environnement. En effet, le deutérium est présent dans l’eau à raison d’un atome pour 6500 atomes d’hydrogène. Ainsi, nous avons assez de deutérium dans le lac Léman, aujourd’hui, pour produire l’électricité nécessaire à la Suisse pendant des dizaines de milliers d’années, selon la consommation actuelle, et ce, sans compter le renouvellement de l’eau ! En d’autres termes, nous avons sur Terre des réserves de deutérium pour des millions d’années. Le lithium est un peu moins présent, mais son abondance, notamment dans l’eau, est toutefois suffisante pour des dizaines de milliers d’années.

Ensuite, les éléments produits par les réactions ne sont pas radioactifs. Seule la structure du réacteur sera activée. Cependant, la majeure partie des matériaux envisagés pour ces structures perd son activation en moins de 100 ans. Une petite fraction de ces éléments structurels nécessitera tout de même un recyclage «interne» et servira ainsi à reconstruire un réacteur à fusion.

Contrairement à la fission, les réactions de fusion ne sont pas des réactions en chaîne, d’où l’absence totale de risque de divergence. De plus, le combustible est injecté dans le cœur du plasma, au fur et à mesure, en très petites quantités, juste de quoi assurer un fonctionnement optimal. Il suffit donc de couper l’alimentation, en cas de problème, pour que les réactions s’arrêtent.

Finalement, la fusion ne produit pas de CO2 et ne dépend pas des conditions météorologiques. Elle sera donc à même de produire l’énergie dite «de ruban» dont notre civilisation a besoin.

Le confinement magnétique

Le confinement magnétique est basé sur le fait que les particules chargées suivent les lignes de champ magnétique. Dans un champ magnétique homogène et rectiligne, par exemple, les trajectoires des particules forment des hélices autour des lignes de champ. Une telle configuration n’est cependant pas concevable pour un réacteur car les pertes aux extrémités sont trop importantes.

L’idée de fermer les lignes de champ sur elles-mêmes sous la forme d’un tore est apparue assez rapidement. Ce faisant, le champ magnétique dit «toroïdal» n’est plus uniforme, un gradient radial apparaît et, par conséquent, les particules dérivent verticalement. L’adjonction d’un champ magnétique «poloïdal» 1) au champ torique permet d’annuler la dérive moyenne par le fait que les lignes de champ circulent alors elles-mêmes alternativement dans la partie inférieure et supérieure du plasma.

Ce champ poloïdal peut être créé soit par du courant circulant dans le plasma, soit par la réalisation de bobines magnétiques non planes. La première solution, portant le nom de «tokamak», un acronyme venant du russe, constitue la solution la plus avancée actuellement.

Le tokamak

Le tokamak (figure 4) est pour l’instant une installation scientifique destinée à améliorer la compréhension des plasmas chauds. Les premiers réacteurs, notamment ITER, seront aussi basés sur ce concept. Le tokamak est principalement constitué de quatre éléments :

  • Une chambre à vide torique dans laquelle le plasma est créé et maintenu. Les tokamaks actuels possèdent des chambres à vide dont le grand rayon mesure entre 0,5 et 3 mètres, pour un petit rayon environ 3 fois plus petit.
  • Un solénoïde, soit un ensemble de bobines magnétiques régulièrement espacées et connectées en série, qui crée le champ magnétique principal (toroïdal) dont la valeur au centre de la chambre à vide vaut de 1 à 6 Tesla. Plusieurs tokamaks sont encore équipés de bobines en cuivre, mais les plus récents fonctionnent à l’aide d’aimants supraconducteurs.
  • Un transformateur, soit un ensemble de bobines magnétiques conduisant un courant dans la direction toroïdale, et qui sert à créer, par induction, le courant circulant dans le plasma. Des courants de quelques centaines de milliers à quelques millions d’ampères sont induits dans les tokamaks actuels. Naturellement, un état d’équilibre est obtenu dans le plasma, la force magnétique compensant exactement la pression du plasma.
  • Un troisième et dernier ensemble de bobines produit un champ magnétique poloïdal permettant de modifier la forme du plasma. En particulier, il est possible de créer des configurations dans lesquelles le champ poloïdal est annulé en un point, appelé «point X». La surface du plasma est dans ce cas forcée à passer par ce point, ce qui permet le maintien du plasma à distance de toutes les parois de la chambre à vide et une meilleure définition des plaques matérielles sur lesquelles une bonne partie du plasma et de son énergie est collectée.


Même si leur taille et leur aspect peuvent varier considérablement, les tokamaks sont tous constitués de ces quatre éléments auxquels viennent s’ajouter des systèmes de chauffage et de mesure.

Le chauffage du plasma

Le courant circulant dans le plasma a pour effet de le chauffer puisque le plasma possède une résistivité certes faible mais non négligeable. Cependant cette résistivité décroît avec la température, rendant le chauffage ohmique insuffisant pour atteindre les températures requises.

Différentes autres méthodes de chauffages ont été développées, faisant intervenir deux procédés bien différents (figure 5) : le chauffage par ondes électromagnétiques (radio ou micro-ondes) et le chauffage par injection de particules neutres.

Le chauffage par ondes électromagnétiques

Le chauffage par le biais d’ondes exploite la possibilité de déposer la puissance portée par une onde dans la matière pour la chauffer par l’entremise d’une résonnance, à l’instar des fours micro-ondes de nos cuisines. Plusieurs phénomènes présents dans les plasmas possèdent des fréquences de résonnance bien précises et peuvent donc être utilisés.

Par exemple, le mouvement de rotation des électrons autour des lignes de champ magnétique se produit à une fréquence qui ne dépend que de la valeur locale du champ magnétique qui, elle, décroît avec le grand rayon du tore. Ainsi une onde injectée depuis l’extérieur entrera en résonnance avec le mouvement des électrons à un certain rayon. C’est donc à cet endroit et seulement à cet endroit que la puissance de l’onde sera déposée.

Ce chauffage porte le nom de 
«chauffage cyclotronique électronique» (ECH en anglais). En général, la fréquence des ondes injectées est dans le domaine des micro-ondes, de l’ordre de 100 GHz, et est choisie de telle manière qu’elle corresponde à une résonnance passant par le centre du plasma. Si le faisceau est suffisamment fin, il est également possible de chauffer d’autres parties du plasma, voire sa périphérie, en déplaçant verticalement le faisceau (figure 6).

Des gyrotrons sont utilisés comme sources de micro-ondes : ils délivrent habituellement entre 500 et 1000 kW par dispositif installé. Les grands tokamaks sont typiquement équipés de 5 à 20 MW de puissance micro-ondes.

Le chauffage par injection de 
particules neutres

L’autre procédé consiste à injecter dans le plasma des particules neutres possédant une grande énergie. C’est par collision avec les particules du plasma que l’énergie sera transférée du faisceau au plasma. L’absorption du faisceau commence donc aussitôt que ce dernier entre dans le plasma, mais comme elle augmente avec la densité, une grande partie de la puissance est absorbée à proximité du centre du plasma.

En général, les faisceaux de neutres sont injectés tangentiellement pour profiter d’une plus grande profondeur d’interaction. Les particules injectées doivent initialement être neutres afin de pénétrer dans le plasma sans être déviées par le champ magnétique du tokamak.

Un injecteur de neutres se compose d’un accélérateur ionique formé d’une source plasma disposée entre une anode et une cathode. Des ions, généralement de deutérium, sont donc accélérés en direction du plasma et traversent un volume au sein duquel ils sont neutralisés avant de continuer leur chemin en direction du plasma. Comme pour les micro-ondes, des injecteurs de plusieurs MW équipent les tokamaks actuels.

Les instruments de mesure

Toute une panoplie d’instruments de mesure a dû être développée afin de caractériser les plasmas produits ainsi que les différents phénomènes observés, car il va sans dire qu’il est impossible d’insérer des éléments matériels tels qu’un thermomètre dans un plasma de fusion.

La mesure de la distribution 
spatiale du courant

Tout d’abord, des séries de sondes magnétiques accrochées à la paroi interne du tokamak mesurent la valeur locale de la composante poloïdale du champ magnétique. À partir de ces informations, il est possible de déduire la valeur totale du courant circulant dans le plasma. Comme un grand nombre de sondes sont habituellement installées, il est également possible de déterminer la distribution spatiale du courant et donc d’en déduire la position, voire la forme, du plasma.

La mesure du spectre de rayonnement

Le plasma émet un large spectre de rayonnement dont la mesure fournit des informations variées : la mesure des émissions dans le domaine des rayons X mous (les rayons X de plus faible énergie) permet, par la méthode de la tomographie (figure 7), une technique similaire au scanner des médecins, de détecter l’apparition de structures magnétiques complexes. La mesure de l’émission dans le domaine visible permet, elle, de détecter les parties du plasma où des impuretés seraient présentes.

La mesure de la densité du plasma

La densité du plasma est mesurée par une technique d’interférométrie : la moitié d’un faisceau laser traverse le plasma alors que l’autre moitié reste à l’extérieur de la machine. Lorsque la densité du plasma augmente, le faisceau le traversant est freiné, ce qui engendre une alternance de lumière et d’absence de lumière lorsque les deux faisceaux sont recombinés (franges d’interférence). Il suffit donc de compter ces alternances pour déterminer la densité du plasma.

La mesure de la température du plasma

La température du plasma est mesurée par l’entremise de l’effet Doppler : lorsqu’un observateur regarde la lumière d’un faisceau laser diffusée par des électrons (figure 8), il mesure une longueur d’onde plus petite ou plus grande que la longueur d’onde du laser selon que les électrons se déplacent en direction de l’observateur ou à l’opposé, respectivement. Comme ici les électrons se déplacent dans toutes les directions et qu’ils ont une distribution de vitesses maxwellienne, l’observateur mesure un spectre caractérisé par une courbe en cloche localisée autour de la fréquence du laser. Plus la température du plasma est élevée, plus la vitesse des électrons est grande et plus le spectre est large. La mesure de la largeur du spectre donne donc directement la valeur de la température du plasma.

Le tokamak TCV

Le tokamak du Centre de recherches en physique des plasmas (CRPP) de l’EPFL (figure 9) a la particularité de posséder 16 bobines magnétiques dédiées au façonnage du plasma, d’où son nom «TCV» pour Tokamak à Configuration Variable. Le grand rayon du tore mesure 90 cm. Un champ magnétique de 1,5 T est habituellement généré sur l’axe du plasma, alors que le courant dans le plasma peut atteindre 1  MA. La section poloïdale de la chambre à vide est 3 fois plus haute que large et les 16 bobines magnétiques sont réparties de part et d’autre de la chambre.

Cette disposition permet d’étudier les caractéristiques du plasma en fonction de la forme. Il a pu être montré, par exemple, que l’élongation (la hauteur du plasma par rapport à sa largeur) et la triangularité du plasma (la position radiale du point le plus élevé du plasma par rapport à son centre) sont bénéfiques pour le temps de confinement. De plus, de nouvelles configurations de plasma peuvent être développées. Récemment, les physiciens de l’EPFL ont produit pour la première fois au monde un plasma dont la configuration fait penser à un flocon de neige, d’où le nom anglais de «snowflake», de par la structure hexagonale du point X, l’endroit où le champ magnétique poloïdal s’annule (figure 10).

TCV est équipé d’un système complexe de chauffage cyclotronique électronique. Neuf gyrotrons de 500 kW chacun fournissent la puissance qui peut ensuite être distribuée dans le plasma par un système de miroirs permettant non seulement l’injection des micro-ondes à différentes positions radiales dans le plasma, mais également de varier l’angle de déposition dans la direction toroïdale. L’avantage d’une injection toroïdale réside dans le fait que les micro-ondes génèrent alors du courant dans le plasma, en plus du chauffage. La génération localisée du courant mène à une forte réduction locale des pertes du plasma et c’est par ce biais que des températures de plus de 100 millions de degrés ont pu être atteintes dans TCV.

Le tokamak JET

Un programme coordonné de recherches en fusion est en cours depuis de nombreuses années en Europe avec pour but d’optimiser notre acquisition de connaissances. À côté des tokamaks nationaux dont les spécificités sont toutes différentes, l’Europe a construit dans les années 80, près d’Oxford en Angleterre, un grand tokamak dénommé JET.
D’un grand rayon d’environ 3 m, cette machine s’est notamment approchée d’un gain de fusion, le rapport entre la puissance de fusion et celle injectée, de un. Plus spécifiquement, d’après la mesure du flux de neutrons de 14 MeV, la puissance de fusion produite a atteint la valeur de 16 MW, correspondant à 64% de la puissance injectée dans le plasma (25 MW). JET a également permis de tester tous les modes d’opération envisagés à ce jour. Toujours en fonction, JET poursuit sa fonction de banc d’essai pour la prochaine étape : ITER. La paroi interne (figure 11) a d’ailleurs récemment été revêtue de nouvelles tuiles faites de tungstène au lieu du carbone utilisé jusqu’à présent.

Approches théoriques

Si, d’un côté, le but pratique des recherches en fusion, celui d’obtenir un réacteur produisant de l’électricité de façon fiable, continue et relativement bon marché, nécessite un développement technique vers une démonstration expérimentale, ces investigations sont complétées, guidées et parfois inspirées par des études théoriques.

Il s’agit dans ce cas d’établir des modèles des phénomènes apparaissant dans les plasmas de fusion qui soient suffisamment simples pour les représenter mathématiquement et en résoudre les équations correspondantes dans des simulations numériques, mais à la fois incorporant assez d’éléments pour en capturer la nature. C’est une tâche extrêmement complexe car dans les réacteurs à fusion on s’attend à une large gamme d’échelles caractéristiques spatiales et temporelles. De plus, il faut traiter différentes régions du plasma, du centre dans lequel la plupart des réactions de fusion ont lieu, au bord, où les interactions entre le plasma et les parois constituent un formidable défi. Ceci nécessite le développement d’un portfolio d’approches et de codes numériques (développement auquel les chercheurs suisses excellent) en exploitant à fond les plus puissants super-ordinateurs de la planète, capables d’effectuer des milliers de milliards d’opérations par seconde.

En effet, une compréhension théorique peut mener non seulement à des prédictions fiables du comportement du plasma dans les futures expériences, mais aussi à une amélioration de nos capacités à contrôler la dynamique du plasma dans le réacteur et à en optimiser le fonctionnement.

Expériences de base

Conjointement aux développements théoriques, des expériences plus fondamentales que celles menées dans le tokamak sont effectuées dans des installations telles que la machine TORPEX (figure 12) du CRPP de l’EPFL, dans lesquelles les mesures et le contrôle du plasma et de sa configuration sont beaucoup plus simples. Ces installations jouent un rôle important en fournissant des bancs d’essai pour les modèles théoriques, afin d’en tester la véridicité et d’en consolider les bases physiques. Un domaine typique dans lequel cette synergie entre théorie et expériences de physique a mené à des résultats importants est celui de la turbulence, phénomène complexe qui détermine les pertes d’énergie et de particules, donc la performance du réacteur.

Le réacteur ITER

Les énormes progrès obtenus par la communauté internationale en physique des plasmas et en ingénierie de la fusion sont en train de se concrétiser dans la construction d’ITER, à Cadarache, en France (figure 13). Cette expérience est conduite dans le cadre d’une collaboration globale, incluant l’Europe, le Japon, les États-Unis, la Russie, l’Inde, la Corée du Sud et la Chine.

ITER a pour objectif de démontrer la faisabilité scientifique et technologique de la fusion, ainsi que sa sûreté. La grande taille de ce projet vient du fait que le temps de confinement augmente avec la taille du plasma. ITER produira alors une puissance de fusion de 500 MW, à partir d’une puissance injectée de 50 MW, donc avec un gain, désigné Q, de 10, pour quelques minutes à la fois.
Il s’agira du premier plasma capable de «brûler», c’est à dire d’être chauffé principalement par les produits de ses propres réactions de fusion, soit les particules alpha (He2+, les noyaux d’hélium) à 3,5 MeV d’énergie. C’est un régime totalement inexploré, dans lequel des nouveaux phénomènes sont attendus, par exemple dans le domaine de l’interaction entre les particules alpha et les ondes qu’elles-mêmes pourraient exciter pendant leur ralentissement. L’obtention de ce régime et son maintien représentent la nouvelle frontière pour la physique de la fusion. Pour donner une idée du saut en avant qu’ITER fera dans ce cadre, il faut noter qu’une seule décharge d’ITER produira 50 MJ d’énergie, sous la forme d’énergie cinétique des particules alpha, alors que toutes les expériences conduites jusqu’à ce jour sur Terre, aux USA dans le tokamak TFTR et en Europe dans JET, ont seulement généré un total de 5 MJ, soit un facteur 10 de moins !

La construction et l’exploitation d’ITER constituent les deux premières phases de la feuille de route de l’Europe. Pendant ces étapes, les laboratoires européens, tels que le CRPP de l’EPFL, ont pour mission de participer à la construction, de préparer l’exploitation, notamment en peaufinant les scénarios qui y seront mis en œuvre, et finalement de participer à l’exploitation d’ITER.

La troisième phase de la feuille de route consistera à construire et exploiter le prototype d’un réacteur appelé DEMO. Alimentant le réseau avec une puissance continue de quelques centaines de MW électriques, il apportera la preuve de la faisabilité économique de la fusion et donc le dernier pas avant sa commercialisation, prévue par l’Europe au tournant des années 2040.

Les défis

Il reste cependant encore quelques défis à relever avant la commercialisation d’électricité produite grâce à la fusion.

Les défis scientifiques

Plusieurs questions cruciales nous attendent sur la route des plasmas qui brûlent. Comment atteindre les conditions pour = 10, en particulier comment chauffer par ondes radio ou micro-ondes ces scénarios, et comment contrôler ou limiter les effets de la turbulence dans un plasma qui a une composition isotopique jusqu’à présent très peu explorée (50% de deutérium et 50% de tritium). Ce «mix» semble cacher certains mystères, par exemple la forme exacte des profils de plasma au bord et l’accès aux régimes de bon confinement. Des expériences D-T sur JET sont en effet prévues pour élucider ces aspects avant le début des opérations d’ITER.

Une fois les conditions de = 10 atteintes, il faut les maintenir. Il est nécessaire que les particules alpha (ce sont des ions rapides car ils sont à bien plus haute énergie que le reste du plasma) soient bien confinées et accomplissent proprement leur tâche consistant à garder le reste du plasma chaud. Les interactions avec ondes et instabilités doivent donc rester sous contrôle et ne pas mener à des phénomènes violents ou des pertes de particules et d’énergie trop importantes. Il faut aussi que le «feu» soit bien contrôlé. Même s’il n’est pas question de perdre le contrôle des réactions qui, par la nature du processus de fusion, ne peuvent pas s’enchaîner toutes seules, une optimisation du «feu» est importante pour une production d’énergie efficace.

Naturellement, il faut encore que les conditions recherchées pour optimiser le régime du plasma qui brûle soient compatibles avec les contraintes techniques liées à l’opération en continu d’un réacteur.

Les défis technologiques

Du côté du système de confinement magnétique, il s’agit de construire et d’exploiter de manière fiable les plus grands aimants supraconducteurs jamais conçus par l’homme. Les bobines d’ITER pèseront environ 1000 tonnes et les câbles qui les constituent, formés à leur tour de 2500 brins supraconducteurs, atteindront environ 200 km de longueur. Tester ces câbles et vérifier que les propriétés des brins individuels (en Nb3Sn et NbTi) sont maintenues à grande échelle est un élément fondamental de la R&D (recherche et développement) pour ITER. Cette tâche est accomplie par le CRPP-EPFL en utilisant ses installations uniques Sultan et Edipo sur le site du Paul Scherrer Institut, à Villigen.

Il est aussi nécessaire de s’assurer que les parois de la machine n’absorbent pas trop de tritium et ne produisent pas des poudres ou des émissions de particules secondaires trop importantes suite aux énormes flux d’énergie provenant du plasma. Pour l’économie du réacteur, il faut démontrer la possibilité, d’une part, de produire suffisamment de tritium à partir des neutrons issus des réactions de fusion et pénétrant dans la couverture contenant du lithium et, d’autre part, de brûler une fraction importante du tritium injecté. Les parois doivent être maintenues à une température suffisamment élevée pour garantir une bonne efficacité thermodynamique du réacteur.

Les défis de contrôle

Et enfin, le problème peut-être le plus redoutable : les interactions du plasma avec les parois de la machine doivent être maintenues à des niveaux acceptables. Une façon d’éviter complètement ou de mitiger les conséquences, des soudaines pertes du confinement du plasma dénommées disruptions, doit être identifiée et démontrée avec un maximum de fiabilité.

Il faut également gérer de manière optimale les pertes à la périphérie du plasma : il s’agit de dompter les instabilités plus violentes qui se produisent au bord du plasma lorsque celui-ci est en condition de bon confinement et, de plus, de s’assurer que l’énergie qui s’échappe du plasma soit diffusée sous forme de rayonnement plutôt que sous la forme d’un flux de particules. En effet, des gradients de pression et de température colossaux se produisent au bord, certainement les plus grands que nous connaissions dans l’Univers entier (on passe de dizaines de millions de degrés à la température ambiante sur quelques centimètres) !

De façon analogue à ce qui se passe si trop de neige est accumulée sur une pente très raide, ces gradients donnent lieu à des phénomènes de type avalanche. Ils représentent un véritable défi pour la paroi du réacteur : les matériaux les plus résistants aux flux typiques du réacteur (10 MW/m2) doivent être utilisés. Ces derniers doivent aussi satisfaire aux contraintes mécaniques et d’activation nucléaire due aux neutrons rapides de la réaction de fusion. Mais même avec des matériaux avancés, il est impératif soit d’éviter ces phénomènes d’instabilité au bord, soit d’en limiter la taille et d’en mitiger les conséquences.

La position de la Suisse

Ce défi de contrôle, qui constitue l’un des éléments cruciaux du programme de R&D en fusion, est bien relevé par la Suisse. Le tokamak TCV est en effet l’un des plus perfectionnés au monde dans le développement de concepts avancés de structure magnétique au bord du plasma. Un exemple récent, qui a fait la une des journaux dans le domaine, est la configuration en «snowflake», démontrée pour la première fois sur TCV, et maintenant considérée comme très prometteuse pour le contrôle des interactions plasma-paroi.

L’amélioration du concept du tokamak, ainsi que l’optimisation des scénarios de plasma pour ITER, constituent en effet les objectifs majeurs des programmes de recherches effectués sur les expériences de taille moyenne. Parmi les trois seules expériences qui sont considérées comme essentielles pour entreprendre la feuille de route au niveau européen réside à juste titre TCV, conjointement à la machine allemande ASDEX Upgrade et à MAST, en Angleterre.

Ce rôle international est assumé par TCV grâce à sa flexibilité en termes de configuration et de forme du plasma, à son appareillage de contrôle sophistiqué, à son système de chauffage par micro-ondes et à une série d’améliorations en cours, dont le but principal est de chauffer les ions par l’injection d’un faisceau de particules neutres et d’augmenter ultérieurement la capacité du chauffage des électrons par micro-ondes.

La Suisse est en somme parfaitement positionnée dans la course à la fusion au niveau mondial. Elle participe à l’exploitation de JET et à la construction d’ITER à travers ses engagements avec Euratom. Elle fait de la recherche de pointe en théorie et simulation numérique, en physique des plasmas de base, en supraconductivité, ainsi que directement sur l’optimisation du concept de réacteur à travers son tokamak TCV. Parallèlement aux contributions directes et indirectes à ITER, le programme fusion suisse vise aussi l’étape qui suivra ITER, dénommée DEMO.

«Last but not least», la Suisse joue un rôle fondamental au niveau européen et mondial dans la tâche d’éducation et de formation par l’appartenance institutionnelle de son Centre de recherches en physique des plasmas à l’EPFL, par l’engagement de ses enseignants chercheurs et par le spectre de ses recherches, combinant nature fondamentale et objectifs d’applications directes. En effet, assurer une formation d’excellente qualité est particulièrement crucial dans le domaine de la fusion, du fait de l’ampleur et de la durée du défi mondial qui impliquent des efforts transgénérationnels.

Auteur
Dr Yves Martin

est à la tête de l’administration du laboratoire du SPC (Swiss Plasma Center, anciennement CRPP) et s’occupe de la communication.

  • EPFL SB SPC-GE, Station 13
    1015 Lausanne
Auteur
Prof. Ambrogio Fasoli

est professeur et directeur exécutif du SPC (Swiss Plasma Center, anciennement CRPP).

  • EPFL SB SPC-TCV, Station 13
    1015 Lausanne

Commentaire

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